La promenade du Scribe


Réalités musicales en Irak dans le cycle de la vie

Table ronde coorganisée par le British museum et la Sorbonne le 25, 26 et 27 novembre 2009
Maison de la Recherche – 28 rue Serpente Paris 75005

Études de cas : Circoncision et Funérailles

Il n'est pas facile de présenter le phénomène musical irakien sous ses différents aspects, a fortiori dans son ensemble, pour deux raisons :

1° du fait de l'extrême diversité et richesse ethnique, linguistique et religieuse de la population irakienne, c'est à dire les traditions et les coutumes des citadins, ruraux, bédouins, kurdes, chrétiens, musulmans, noirs, yézidis, mandéens, sociétés, sectes, confréries exotérique et ésotériques si l'on ajoute les influences millénaires de ce pays, berceau de la civilisation et terre de révélation qui ont affecté ses habitants... Exemple : jusqu'au jour d'aujourd'hui, lors d'une éclipse du soleil, les Irakiens comme les Babyloniens leurs ancêtres, il y de cela quelques 4000 ans sortent dans les rues en tapant sur les casseroles pour effrayer le dragon qui avale la lune... etc.

2° l'insuffisance des informations glanées ici et là dans ce domaine n'ayant pas vraiment fait l'objet d'une étude ou d'ouvrages explicites et complets..

Instruments de musique utilisés dans deux évènements bien précis : la circoncision et les funérailles.

Il s'agit donc d'un tableau bien défini qui se déroule en Irak et à Mossoul précisément qui met l'accent sur le contexte socio-culturel des instruments de musique. Il s'agit d'un témoignage personnel vécu qui ne prétend pas illustrer pour autant tous les phénomènes de ce genre... Enfin, précisons d'emblée que cette intervention n'est pas conçue pour affirmer une hypothèse ou illustrer une théorie sociologique ou ethnologique particulière.

La musique accompagne les Irakiens du berceau au tombeau

La musique exprimée de quelques façons que ce soit accompagne la vie et la mort... en Irak.

Il est important de noter que les instruments de musique ne sont pas les seuls éléments constituants de la musique... La musique vocale et ses formes sont authentiques et résistent mieux à tout influence extérieure. De même les objets sonores de types bijoux (colliers divers, bracelets, anneaux de chevilles), dont le rôle est en apparence ornemental, et représentent bien évidemment une valeur économique en soi, leur rôle caché est d'ordre magique. Ils sont par leurs matières, - le métal qui est sensé chasser les djinns - par les superstitions qui les entourent et par les sons qu'ils produisent, un moyen imparable pour concilier le monde visible et invisible et communiquer avec lui. Ces objets ont parfois un rôle rythmique que leur confèrent les mouvements du corps pendant le travail et la danse et qui pourrait même ensorceler et affoler un cœur. Soit dit en passant, pour l'anecdote, à Nairobi, nous avions une jeune kikuyu aide-à-domicile qui portait des bracelets en cuivre, et à chaque fois que Rahab entreprenait quelque tâche que ce fût, elle embrasait mes souvenirs d'enfance et je croyais en vérité que c'était ma mère, immensité de tendresse, qui pétrissait le pain ! Il y avait de cela quelques 45 ans.

Ce n'est donc pas l'apparence de l'instrument qui le définit comme tel, mais sa fonction socio-musicale. Par ailleurs les musiques corporelles telles que les claquements de mains, frappements du visage et de la poitrine, il convient de les considérer comme des instruments de musique.

La manifestation de caractère musical la plus communément répandue consiste dans les هلاهل , you-you poussés par les femmes en signe d'allégresse après la naissance d'un enfant mâle ou durant les mariages. Le son est jugé apte à écarter le mal. Comme les rituels d'exorcistes en Irak, lorsque l'on veut chasser le mauvais esprit d'un épileptique par exemple.

Deux évènements du cycle de la vie à Mossoul, soulèvent l'intérêt : la circoncision, et les funérailles dont le héros est le même, un frère de lait, Myassar célébré lors de sa circoncision à l'âge de sept ans et mort emporté par le Tigre quelques mois plus tard.

I- La circoncision

L'âge auquel doit se pratiquer la circoncision n'est pas précisé, ni la période de l'année où elle doit s'effectuer. La circoncision est prescrite aux jeunes garçons de confessions juive, musulmane, et yézidie. Dans les milieux traditionnels, et populaires la circoncision est considérée comme une grande fête qui peut durer plusieurs jours. A cette occasion les enfants échangent leurs vêtements contre des dishdashas, tuniques blanches et neuves.

La veille de l'opération est marquée par une grande fête appelée ليلة الحنة la nuit du henné ou ليلة الطهور la nuit de la circoncision. A cette occasion on invite parents et amis, on allume les bougies, on distribue des sucreries et on a fait appel à des musiciennes professionnelles qui exécutaient des chansons populaires ou de circonstance qui s'accompagnent par un ou plusieurs tambours sur cadre à cymbales daff ou par un tambour à une peau en terre cuite tablâ.

Avant l'opération de la circoncision, un cortège appelé تفتيلة (litt. : tournoiement) à Mossoul, et زفة à Bagdad, composé du futur circoncis et de ses camarades fait le tour du quartier pour le faire participer à la fête. Le déplacement s'effectue à pied, ou pour les familles aisées à chevaux ornés. Certains cortèges sont précédés d'un duo de deux tambours à deux peaux et d'un hautbois,  طبل و زرنة .

A l'opération proprement dite de la circoncision assistent en plus de l'officiant, généralement un spécialiste âgé, les parents et les camarades du garçonnet ainsi que le duo instrumental formé par le hautbois et le tambour à deux peaux ou à défaut, un récipient promu instrument de son, comme les bidons vides. Pour le distraire on lui offre des sucreries, la musique commence à jouer sur un rythme frénétique accompagnée des you yous des femmes pendant que quatre de ses camarades, tiennent un drap blanc au dessus de lui en guise de baldaquin et le secouent énergiquement.

D'autres familles organisent une soirée d'inspiration religieuse comme le mawlud, pendant laquelle on chante les louanges du prophète ou l'on exécute le Dhikr الدْكر . Ce sont des alternances de récitations en solo de divers textes sacrés assurés par le chef du groupe et de l'ensemble de l'assistance. Les confréries qui assurent de telles cérémonies en Irak sont d'ordres sunnites soufies comme l'ordre al Kadéria et al Rifaiya. Ils emploient tambours sur cadre et parfois timbales et cymbales. Ces confrérie reconnaissent l'autorité de leur maître Abdelaqader al Gaylani (+1166) et al Rifaï (+ 1182). Les théologiens sunnites et shiites bannissent des cérémonies religieuses l'emploi des instruments de musique à l'exception du tambour sur cadre. La musique doit être confiée à la seule voix pour transmettre le sens des paroles. Les soufis eux, au contraire, acceptent de soutenir la voix par les instruments parce que la musique favorise l'ascension du derviche au stade de l'extase mystique.

Le tambour par sa forme ronde est chargé de signification symbolique. Le cercle évoque le mouvement infini du cosmos et de la vie humaine, suggéré par la danse tournoyante, par laquelle ils réalisent leur désir d'union avec Dieu. Pour les soufis irakiens les tambours inspirent aux novices le désir passionné « الشوق alshawq » d'union avec Dieu. Ils augmentent le nombre des frappements au fur et à mesure de la montée du désir. Le son et le rythme de ces instruments de musique sont les principaux moyens d'atteindre l'état de transe ou le soufi perd conscience de la réalité extérieure et oublie même son propre corps, qu'il frappe avec frénésie au rythme de l'instrument pour atteindre « la réalité divine ».

D'après la musicologue Irakienne, Shahrazad Qassim Hassan*, on distingue deux frappements دقة rythmé dans les confréries : الدقة القادرية « frappement kadérite » qui se caractérise par sa sérénité et والدقة الرفاعية qui est un frappement guerrier الحربية . Ce dernier accompagne uniquement les parties où les novices se frappent frénétiquement le corps en scandant le tawhid lorsque l'on répète à plusieurs reprises les différents attributs de Dieu : l'Un, le Seul, l'Unique, le Sans-égal etc. Ces novices sont des amoureux des mushtaq, des désireux, d'être avec Dieu.

J'aurais pu assister au mariage de Myassar... mais il a été emporté par le Tigre... et cette fois on a fait appel à ma grand mère la pleureuse pour animer une célébration..d'un autre genre.

II- Funérailles

Chez les Musulmans, comme chez les Chrétiens et les Juifs les cérémonies mortuaires excluent tout instrument de musique, à deux exceptions près : la mort d'un être jeune, célibataire ou jeune marié sans enfants et celle d'un militaire.

Dans les cas ordinaires, chez les musulmans, les cérémonies du deuil sont suivies pendant trois jours par les hommes et sept jours par les femmes. Les femmes doivent se vêtir d'habits noirs pendant un an. On récite des versets du Coran et d'autres textes religieux. Les rassemblements de femmes sont animés par les pleureuses professionnelles qui chantent les mérites du défunt. Ce sont les addadat. Elles sont surtout des poétesses. L'image de ces femmes qui poussaient des cris lugubres dans les funérailles reste très forte. Non seulement on loue des pleureuses à gage qui s'arrachent les cheveux, chantent des complaintes et simulent l'extrême du désespoir, mais les parents et les amis participent à ces rituels de deuil. Elles accompagnent les convois funèbres en poussant des exclamations pour répondre à celles de la famille. En Irak, lors de funérailles, les femmes crient de toutes leurs forces, s'égratignent les bras, les mains et le visage, se frappent la poitrine, arrachent leurs cheveux, déchirent leurs vêtements et se prosternent de temps à temps par terre, comme pour effectuer une danse, pâmées de douleur.

Si le défunt est un être jeune et nubile ou jeune marié sans enfants, dès l'annonce de la nouvelle, on tire en l'air des coups de pistolets... comme s'il s'agissait d'un évènement heureux. La famille du défunt prépare des plateaux sur les quels sont disposés des bougies, du henné et des pâtisseries, comme s'il s'agissait d'un mariage et équivaut à une simulation de celui-ci.